Un Psy et Coach à Nantes
Frédéric LE MOULLEC
Rêverie
Il n’y a pas de verbe qui traduise cette action consistant à s’adonner à la rêverie, ou plutôt à se laisser aller à la rêverie. Bien sûr, il y a le verbe rêver, mais on rêve quand on dort. Il n’y a pas de verbe qui dise “rêver quand on veille”. Il n’y a que le mot rêverie ou bien le verbe rêvasser, mais celui-ci est franchement péjoratif. Formé tardivement, le mot rêverie a toujours eu plus ou moins mauvaise presse (même si le grand Victor Hugo l’a consacré par un poème), et c’est particulièrement vrai de nos jours. On l’a décrédibilisé. On peut le comprendre : la rêverie s’accorde mal avec ceux qui veulent produire, accumuler et consommer, qui pensent que notre destin est plus économique qu’existentiel. De nos jours plus qu’à toute autre époque sans doute, ils se trompent, et gravement. Un nombre d’entre nous de plus en plus grand le paye par de la souffrance nerveuse, de façon parfois très violente.
Je soutiens que l’être humain, comme tout autre animal d’ailleurs, est fait pour se laisser aller à la rêverie ; que, tout comme l’attitude de résister, cela fait partie de sa nature même. Nous en avons besoin. Certaines études scientifiques contemporaines, d’ailleurs, le montrent très bien, venant seulement au secours d’évidences dont le propre est de passer inaperçues, a fortiori quand on s’en est détourné depuis bien longtemps. La rêverie est une chose essentielle absolument nécessaire (au sens strict de « qui ne doit jamais cesser tout à fait ») pour vivre. « L’homme est le seul animal qui refuse d’être ce qu’il est », disait Albert Camus. Nous payons toujours le prix de ce refus par de la souffrance nerveuse.
Se laisser aller à la rêverie, c’est laisser son esprit vagabonder, rebondir d’une idée à une autre sans s’arrêter à aucune jusqu’à ne plus rien penser du tout parfois ; c’est s’échapper de nos « pensées culs-de-sac », fixes et fixées par nos préoccupations ; sortir des sentiers battus et rebattus ; quitter l’érudition pour retourner à la sauvagerie (toute pacifique) qui siège en chacun de nous et nous permet de toucher à notre authenticité « d’étant homme à l’intérieur de l’étant monde » ; c’est aussi entrer en résonance avec son corps tout entier et se redécouvrir ; c’est s’ouvrir, s’élargir ; se permettre de continuer de grandir, par exemple en se laissant imaginer de nouvelles manières d’être ou de faire ; c’est ouvrir les fenêtres de son esprit et laisser le soleil, l’air ou la pluie entrer et nous régénérer ; c’est « se préparer à faire front en tout cas » comme le disait si bien Henri Michaux, à partir de ce que notre rêverie nous aura permis de forger.
Pour ce faire, il faut poser le corps, lui permettre de s’arrêter, l’installer confortablement, surtout ne rien faire, et laisser s’ouvrir grand les fenêtres de l’esprit. Parfois nous pouvons même avoir besoin de trouver un asile, ce “lieu inviolable” seul à même de préserver une solitude propice, un « lieu à soi » pour reprendre les mots de Virginia Woolf. La rêverie ne passe ni par l’action ni par la réflexion, mais par l’imagination libre. Rien ni personne ne doit l’entraver. C’est une inaction prodigieusement active, sans but aucun.
Les Romains, humains soucieux encore qu’ils étaient de respecter la Nature, et en particulier leur condition « d’étant homme à l’intérieur de l’étant monde», avaient organisé la vie quotidienne selon deux temps : le temps de l’otium (le temps libre et calme, celui de l’oisiveté, de la skholé pour les anciens Grecs, autrement dit le temps de l’école où l’on s’adonne à tout ce qui peut permettre de s’épanouir dans l’existence, comme une fleur ou un arbre) et le temps du negotium (le temps contraint et occupé, celui du négoce, de la production et des affaires, autrement dit le temps dévolu à nos besoins). Il est intéressant de remarquer que pour les Romains, le temps positif, le temps premier, essentiel, était bien celui de l’otium, le negotium en étant la négation même, utile certes mais non essentiel ni plus nécessaire, au sens premier du terme. Cela ne semble plus être tout à fait le cas pour les hommes résolument modernes, le temps passant, que nous sommes aujourd’hui. On n’arrête pas le progrès, dit-on, cela dépend pour quoi.
La rêverie est bonne pour la santé nerveuse. C’est comme respirer, mais pour l’esprit. La rêverie est la respiration de l’esprit, ou pour être plus prosaïque et plus précis, la respiration nerveuse du cerveau et donc du corps tout entier. La rêverie est une fonction du corps.
Photo : le petit bonhomme de la Butte Sainte-Anne à Nantes, toujours là, assis sur son banc, en rêverie permanente d’un Monde au plus large, que le marin devant lui s’évertue à mesurer et calculer...
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