Un Psy et Coach à Nantes
Frédéric LE MOULLEC
Résister
Je voudrais revenir ici sur l’attitude de résister, qui est fondamentale pour qui aspire à apaiser sa souffrance nerveuse ou à passer l’obstacle qui l’empêche de vivre. Car le mot a mauvaise presse. Et, ayant mauvaise presse, comment l’attitude que ce mot traduit serait-elle donc aisée à adopter ? Résister fait partie de ces nombreux mots dévoyés, et c’est là d’autant plus dommageable que l’attitude que ce mot traduit est au fondement même du vivant en nous.
Ce mot, on l’a discrédité ou autorisé seulement à quelques héros, à leur corps défendant d’ailleurs. Car de la même manière que les Sages ne prétendront jamais être sages, les Résistants ne s’enorgueillissent pas plus de résister. Les Résistants, comme les Sages, savent l’incertitude que cet engagement requiert, la faiblesse de leur être, quoi qu’ils aient déjà accompli — la résistance et la sagesse ne sont pas capitalistes, ce sont des attitudes à réengager chaque jour, à chaque nouvelle situation ; que la résistance, comme la sagesse, n’est pas une fin en soi, mais un moyen fondamental qui nous est donné pour vivre, pour se mettre en cohérence avec soi et le monde environnant, ici et maintenant. Ce n’est pas un choix. On le fait ou on ne le fait pas. On peut tout à fait comprendre que le mot résister soit à ce point réservé à quelques-uns, muséifié si j’ose dire, pour ne pas dire muselé : l’attitude de résistance s’accorde mal avec ceux qui veulent régenter le monde.
Je reçois en consultation de plus en plus de personnes qui souffrent de ne pas résister. Elles n’en peuvent plus. Elles sont écrasées par les «pensées culs-de-sac» que le monde véhicule et auxquelles elles donnent elles-mêmes écho en leur for intérieur. Elles sont même rompues, en ce sens qu’elles sont coupées d’elles-mêmes par ces «pensées culs-de-sac» qui leur appartiennent autant qu’elles appartiennent au monde qui les entoure ; celles, péremptoires, qui ne tolèrent aucune échappatoire et qui finissent par s’installer à demeure ; qu’on ne voit ou n’entend même plus, et qui vont jusqu’à entraver les personnes dans leur élan vital, que le symptôme alors révèle brutalement dans une tentative d’adaptation à la desperado.
On ne résiste à rien, on résiste, c’est tout, ou pas. La vraie résistance est sans objet, elle est libre. Elle ne s’oppose à rien ni à qui que ce soit. C’est ce que l’on dit bien souvent, mais c’est faux. Résister, c’est être là, se tenir là, malgré tout, encore et encore et encore, juste cela : se tenir là où nous sommes ; c’est habiter sa maison ; c’est être un arbre ; qu’il vente, qu’il neige, qu’il pleuve, qu’il gèle, il est là, debout, à sa place, dressé. Et il continue de grandir, de faire de nouvelles feuilles, année après année. Il va chercher ce qui le fait grandir dans ses moyens fondamentaux qui n’appartiennent qu’à lui. Il les sent. Il fait corps avec ses racines qui puisent au plus profond de la terre la sève qui le nourrit et lui permet de se tenir là. La résistance est une humilité. Résister, c’est accepter ; ce que nous sommes, notre situation, partir de là où nous sommes avant d’engager quoi que ce soit.
Je soutiens que l’être humain est fait pour résister, que c’est sa nature même, mais que nous le désapprenons violemment un peu plus chaque jour, et qu’en le désapprenant – parce que nous le désapprenons – nous souffrons nerveusement, jusqu’à la « dépression nerveuse collective », pour reprendre les mots de l’économiste John Maynard Keynes il y a près d’un siècle, qui ne manquera pas (qui ne manque déjà pas) de se déclarer et de nous exposer au risque de notre propre disparition. Ou d’une violente refonte. Au fond, résister c’est aimer.
Photo : un arbre dans la campagne, vu par mon amie et consœur Michèle Clemens
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